La fermeture des lieux culturels : un choix politique de l’Etat central
- Les Oubliés
- Apr 2, 2021
- 4 min read
Updated: Apr 2, 2021
Il y a de cela deux semaines, nous avons interrogé dans notre deuxième podcast, Raphaëlle Pellet, chargée de mission auprès de la vice-présidente culture, tourisme et action internationale au conseil départemental de l’Essonne. L’occasion pour elle et pour nous d’aborder le “problème culturel” à l’aune de ses enjeux politiques.
Au cours de notre entretien, Raphaëlle Pellet, ancienne étudiante à l’Institut d’Etudes Politiques de Strasbourg, exprimait son sentiment d’impuissance et de surprise face aux directives du gouvernement. En effet, si l’injonction à la fermeture “temporaire” des lieux culturels apparaissait hier comme un sacrifice nécessaire au regard de la situation sanitaire inédite, elle provoque aujourd’hui l’indignation chez certains administrateurs des collectivités locales et territoriales.
Pourtant, la culture ne saurait être accusée de nier l’intérêt général au profit du sien, car nombreux s’alignaient, lors du premier confinement, sur les mesures du gouvernement. A l’instar de toute l’économie du pays (petits commerces compris), l’effort national pour endiguer la pandémie semblait alors nécessaire et la fermeture temporaire des lieux culturels inévitable. Mais depuis de longs mois, alors que les petits commerces et centres commerciaux ont rouvert, l’incompréhension des travailleurs de la culture va croissante. Car si les petits commerces dépérissent et suffoquent sans entrée d’argent, les théâtres et salles de spectacles - petits commerces de la culture - ne font pas exception.
La science se range aux côtés de la culture
En outre, la pilule serait sûrement moins douloureuse à avaler si la science n’avait pas infirmé l’hypothèse de la contagiosité des lieux culturels. Ainsi, en février dernier, Martin Kriegler et Anne Hartmann évaluaient dans une étude de l’université technique de Berlin la dangerosité des différents lieux “sociaux” en fonction du RO (nombre de reproduction du virus - qui correspond au nombre moyen d’individus qu’une personne infectée peut contaminer). La méthodologie était la suivante : lorsque la valeur d’un R effectif était supérieure à 1, le lieu était considéré comme propice à la propagation du virus. A contrario, un R effectif inférieur à 1 était garant de sûreté pour les lieux. Or, les résultats de cette étude allemande étaient à cet égard pour le moins éloquents : les établissements culturels qui avaient restreint leur jauge de fréquentation à hauteur de 30% et imposé le port du masque, avaient obtenu un RO de 0,5 (soit 6 fois moins qu’une école). A titre de comparaison, les restaurants ou les supermarchés affichaient un RO de 1 tandis que les RO des trains et open-spaces atteignaient un RO de 1,5.
Si la parution de cette étude a fait souffler une brise d’espoir sur le monde de la culture, il n’est pour autant pas question pour les pouvoirs publics de sommer la réouverture des lieux culturels. Le choix a de quoi surprendre de la part d’Emmanuel Macron qui clamait pourtant haut et fort lors de sa première allocution télévisée : “Un principe nous guide pour définir nos actions (...) et il doit continuer de le faire : c’est la confiance dans la science. C’est d’écouter celles et ceux qui savent”. Il faut croire que l’exception culturelle dont se targuait de bénéficier la France est désormais une exception sanitaire...
Un choix politique de l’Etat central
Plus que la traduction d’une absolue nécessité donc, la fermeture des lieux culturels apparaît comme un choix politique qui traduit un désintérêt de l’Etat pour la culture, qui date de bien avant le Coronavirus. En effet, le volontarisme en matière de politique culturelle, qui avait cours depuis les années 1959 sous Malraux puis sous la houlette de Jack Lang, s’est effrité depuis plusieurs décennies. En 2007, déjà, les subventions de l’Etat avaient considérablement baissé, et les coupes budgétaires avaient fragilisé l’innovation artistique et culturelle. Aujourd’hui la culture - autrefois promue pour elle-même - n’est plus qu’une variable d’ajustement au service du rayonnement de la France, de l’attractivité touristique et du développement économique du pays. En dépit des discours semblant porter et soutenir l’identité culturelle française, la culture n’occupe plus que le rôle de figurant sur la scène d’un dessein politico-économique dont elle n’est que l’un des auxiliaires.
Et si les collectivités territoriales ont un poids réel - via notamment les Directions régionales des Activités Culturelles - elles n’ont pas la main sur la réouverture des lieux de culture. Certaines collectivités locales (dont Bourges s’est faite le porte-drapeau en janvier dernier), ont même demandé à faire de leur ville le lieu d’expérimentations pour statuer ou non sur une possible réouverture progressive. Le maire socialiste de Bourges, Yann Galut, avait d’ailleurs écrit à la ministre Roselyne Bachelot, plaidant en faveur d’un échelonnement desdites réouvertures dans sa ville avec en priorité “musées et monuments, cinémas puis spectacles vivants”. Mais ces requêtes ne semblent guère aboutir et, malgré le travail continuel et acharné des artistes pour réadapter leurs projets - conformément au paradigme actuel - les appels des élus sont restés lettres mortes.
Pourtant, ce sont ces mêmes représentants qui sont souvent les premiers interlocuteurs des porteurs de projets artistiques. Raphaëlle Pellet, chargée de mission auprès de la vice-présidente culture, tourisme et action internationale au conseil départemental de l’Essonne, nous communiquait la semaine dernière, à l’occasion d’une interview sa désolation. Dans un premier temps, le département de l’Essonne s’est évertué à subventionner de nouveaux projets, à faire espérer la possibilité de réouvertures et d’autorisation des manifestations culturelles. Mais peu à peu, l’optimisme de l’institution a laissé place à un fort sentiment de culpabilité des administrateurs. Si les acteurs de la culture ont tout fait pour que leur idée soit portée à gestation, les nombreuses annulations successives de ces derniers mois ont eu raison des efforts collectifs. Avançant à l’aveugle, les associations, artistes et collectifs s’étaient pourtant équipés, avaient pourtant essayé de rendre leurs interventions et leurs spectacles compatibles avec les mesures sanitaires… mais rien n’a pu faire infléchir le gouvernement.
Pour Raphaëlle Pellet comme pour nous, le seul horizon possible pour limiter la casse est celui de la réouverture des lieux culturels. Pour l’heure, et en dépit des promesses présidentielles d’une possible réouverture en mai prochain, le monde de la culture n’ose exulter trop tôt et, à l’instar de l’année qui vient de s’écouler, retient encore et toujours son souffle.
Commentaires